Le chef d’entreprise, avant de soumissionner à un marché public, construit une offre technique et économique
solide. Pour cela, il détermine ses charges futures et l’ensemble des moyens nécessaires à sa réalisation en
fonction d’un contexte économique imaginé stable. Le soin apporté à cette étude de dimensionnement assure
-en principe- une rentabilité constante au fil de l’exécution du marché.
L’acheteur public a de son côté opportunément prévu un mécanisme amortisseur et protecteur, avec une formule
de révision des prix« standard ».
Grâce à ce dispositif les prix du marché doivent évoluer à la hausse comme à la baisse tout au long de son
exécution, pour garantir la marge initiale.
Un coup de tonnerre dans un ciel bleu
C’est sans compter sur un « coup de tonnerre dans ceciel bleu » : Le bouleversement des prix
des matières premières, l’envolée des prix de l’énergie, les tensions salariales rendent les prévisions
totalement caduques.
Nous avons souhaité examiner comment les acheteurs publics font face à cette situation inédite. Comment
l’acheteur doit il agir, dans ce contexte où il se doit d’examiner la situation au-delà des stipulations
contractuelles ? Comment préserver les deniers publics sans provoquer des défaillances des
entreprises ?
De leur côté, comment les entreprises peuvent-elles préserver l’équilibre économique de leur marché tout en
honorant leurs engagements vis-à-vis de l’acheteur public ?
Sortir par le haut
Une situation contractuelle figée
L’acheteur public comme l’entreprise ont un objectif commun : faire le meilleur choix dans la durée.
Pour l’entreprise c’est générer de l’activité rentable, de la visibilité sur son activité, de la notoriété
et l’assurance de la solvabilité de son client.
Pour l’acheteur c’est dépenser utilement l’argent public auprès d’un opérateur économique fiable, en
garantissant l’exécution du marché dans la durée, conformément aux exigences initiales.
Or, par la contractualisation du marché, les prix et les règles de leur évolution deviennent intangibles.
Les deux parties sont engagées durablement.
Le risque de défaillance d’une entreprise entrainant l’arrêt de l’exécution du service est inenvisageable
pour l’acheteur public (particulièrement dans des marchés essentiels au déroulement du service public).
L’acheteur est donc devant un réel conflit de loyauté : d’une part, défendre les intérêts de sa
structure; d’autre part, prendre en considération les difficultés de son titulaire.
Des solutions imparfaites
Pour aider les acheteurs à résoudre ce dilemme, La Directiondes Affaires Juridiques (DAJ) a produit
plusieurs notes, visant à donner des consignes aux acheteurs de l’état, et des conseils aux
collectivitésterritoriales (1). De son côté le 1er ministre a, dans une circulaire du 30 mars 2022,
présenté ses recommandationspour faire face à cette situation (2).
La prise en compte du caractère imprévisible de la situation par une application mesurée des pénalités pour
retards dus à des difficultés d’approvisionnement ou par le réaménagement des délais d’exécution, font
partie des dispositifs. Le principal étant l’indemnisation des entreprises pour couvrir les envolées
imprévisibles des prix,…
Ces solutions, chacun le sait, sont imparfaites pour les deux parties. Elles présentent cependant une réelle
opportunité pour des marchés fortement impactés par la crise. Les entreprises concernées ont donc la
possibilité de sortir de ce bourbier en saisissant l’acheteur sur ce motif d’imprévisibilité afin de
négocier la meilleure solution pour les deux parties.
Les acheteurs sont des interlocuteurs de qualité
Les acheteurs publics sont comme les chefs d’entreprises : ils ont des comptes à rendre car ils
engagent leur responsabilité et leur crédibilité à chaque marché. Ces enjeux partagés doivent conduire
naturellement à trouver des solutions de rééquilibrage des prix.
Dans un contexte imprévu, Il est important de faire en sorte que les risques et pertes soient partagées au
mieux.
Être factuel
Pour négocier, il faut des arguments. Plus ces derniers sont solides, plus ils seront convaincants. Il
suffit pour le chef d’entreprise de décrire sa problématique de manière précise, en développant les
conséquences pour l’entreprise. Une illustration des propos par des chiffres concrets, issus de sources
vérifiables, sera la bienvenue.
Les solutions juridiques : l’indemnité
Les prix et leur mode de révision étant figés, le titulaire du marché concerné peut solliciter une indemnité
pour compenser la flambée des prix en se basant sur le fondement de la théorie de l’imprévision. La charge
de la preuve lui incombe : l’imprévisibilité s’apprécie soit dans sa survenance, soit dans son ampleur.
Par ailleurs, l’indemnité accordée ne peut couvrir qu'une partie du déficit subi par l’entreprise. Les juges
administratifs fixent généralement cette indemnité à 90% du préjudice démontré par l’entreprise.
Les solutions juridiques : l’avenant
Bien que la circulaire du 30 mars 2022 semble exclure cette possibilité, les acteurs sur le terrain
pratiquent la conclusion d’avenants sur le fondement de l’article R.2194-5du code de la commande publique
afin de modifier le périmètre des prestations ou d’adapter les conditions d’exécution du marché. En effet,
sans cette solution le risque de défaut des entreprises est grand, et tout le monde y perdra ?
Ce sera le moment de discuter avec l’acheteur public de ce qu’est une bonne formule de révision de prix. Une
bonne formule pour les deux parties bien entendu.
Quid pour l’avenir ?
En tout état de cause, pour les marchés à venir, les entreprises devront examiner avec soin la composition
des formules de révision incluses dans le marché qui, compte-tenu du contexte, prennent une importance
fondamentale.
Tout d’abord, une bonne formule doit être appréhendée àpartir de 6 postes dans une démarche de
comptabilité analytique que l’on retrouve dans les entreprises de construction, démarche qui suit l'approche
"KLEMS" des économistes de la productivité :
Coût du travail
Matériaux,
Matériel,
Énergie,
Transport,
Frais divers.
Ainsi, la formule idéale doit être constituée de l’ensemble de ces facteurs. Chaque item doit être pondéré
proportionnellement à sa représentation dans le compte d’exploitation.
Une bonne formule doit être représentative
Prenons une hypothèse d’une entreprise de terrassement avec des comptes composés comme suit :
Amortissements = 11%
Salaires (S)= 38%
Gasoil (G) = 17%
Entretien des matériels (Mat) =13%
Frais généraux (FSD) = 21%
Alors la formule idéale devrait être représentée comme celle-ci.
Prix révisé = prix
initial*[0.11+0.38*(S/So)+0.17*(G/Go)+0.13*(MAT/MATo)+0.21*(FSD/FSDo)]
Ainsi, chaque grand poste de charge de l’entreprise est pris en compte à l’aide d’un indice mensuel
spécifique, auquel est appliqué un coefficient de pondération. Ce dernier doit être le plus proche possible
de la réalité des charges.
Si ce n’est pas le cas alors les risques de décalages (voire de dévissage) entre l’évolution des prix du
marché et celle des charges réelles est grand. L’entreprise court donc un danger financier.
Cette représentativité est bonne pour les deux parties :
L’acheteur public assure l’équilibre économique initial du marché et donc la durabilité de son marché en
évitant le risque de défaillance. Il est assuré de payer le prix le plus juste (à la hausse comme à la
baisse).
De son côté, l’entreprise bénéficie d’une évolution de prix plus conforme la réalité de ses charges.
Pour construire une formule de révision efficace, il faut trouver des indicateurs pertinents. Il existe un
choix assez important d’organismes et d’indices.
Les indices publiés par l’INSEE
et/ou par le Moniteur sont méthodologiquement solides et statistiquement représentatifs. En outre, les
fréquences de publications sont élevées.
Une bonne formule doit être réactive
Il s’agit de mesurer ici l’écart temporel entre la constatation dans les comptes de la variation d’une
charge (gas-oil, salaire,…) et la publication de l’indice correspondant. Plus cet écart sera réduit,
meilleur sera de l’effet de la formule, car la variation des prix de vente plus sera plus rapide, donc plus
en phase avec la réalité économique.
Augmenter la cadence
Nous invitons les lecteurs à se pencher sur les opérateurs boursiers qui pratiquent le Trading Haute
Fréquence (THF). Cela consiste à transmettre des ordres à très grande vitesse sur les marchés financiers dès
que les algorithmes ont détecté une légère variation d’un indice. Sans être familier du sujet des
opérations boursières, on comprend que si ces opérateurs dépensent des sommes importantes dans ce sens c’est
que leurs gains en retour sont massifs (3). Ils vont même jusqu’à loger leurs serveurs et ordinateurs le
plus près physiquement des bourses pour gagner quelques nanosecondes…(4)
La variation des cours des matériaux est aujourd’hui un point sensible de nos marchés et les évènements
récents nous prouvent que lesprix peuvent évoluer fortement en quelques jours. Inversement, une fois la
cause du stress économique passé, le cours peut revenir à la normale, voire en dessous.
On comprend alors aisément que la dynamique est valable pour les deux parties et que chacun pourra en
bénéficier, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, plus la fréquence de révision sera élevée plus les
révisions de prix éviteront les risques de dérapages fragilisant la situation financière de l’entreprise. La
sécurité contractuelle et la réalisation du contrat sont donc renforcées. De plus, cela évite à l’entreprise
de prendre des « aléas » et donc de renchérir inutilement le montant du marché dans sa proposition.
Une solution validée dans le C.C.A.G. travaux 2021
Soucieux de préserver l’équilibre contractuel et de garantir la bonne exécution des marchés de travaux, les
rédacteurs du C.C.A.G travaux 2021 ont prévu la mensualisation de l’indexation des prix. Ce dispositif
s’applique pour tous les marchés postérieurs à l’entrée en vigueur du CCAG, ou au 1eoctobre 2021 (si
l’acheteur a choisi de se référer au CCAG 2009entre le 1 avril et le 1 octobre).
L’acheteur public, même si cette pratique exige plus de travail, anticipe le risque de prise d’aléas
supplémentaires par les entreprises qui aurait pour conséquence de renchérir artificiellement le montant du
marché.
Une solution préconisée par la D.A.J.
D’une manière plus générale, les acheteurs publics ont bien compris que désormais des révisions de prix plus
fréquentes étaient recherchées par les chefs d’entreprises et bien souvent un critère de décision préalable
de réponse à un marché public. «
C’est pourquoi il convient d’éviter l’application systématique d’une échéance annuelle pour les clauses
de révision des prix afin de maintenir l’équilibre financier du marché, sans porter préjudice à l’une ou
l’autre des parties
. » (Direction affaires juridiques- Ministère de l’Economie et des Finances – FT Les marchés publics
confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières18/02/2022).
De son côté le 1er inistre dans sa circulaire du 30 mars 2022 ajoute qu’
« en outre pour ne pas pénaliser les entreprises, les clauses de révision de prix ne contiendront
ni clauses butoir, ni clause de sauvegarde.
» (2).
Une bonne formule doit être dynamique
Le dynamisme d’une formule se mesure par l’amplitude des écarts entre le point haut et le point bas sur une
période courte. En d’autres termes, cet indicateur permet de s’assurer que la formule fait apparaitre
clairement les hausses comme les baisses dans des proportions proches de celles de vos charges.
A l’opposé, une formule peu dynamique va montrer une évolution faible et relativement constante. Ainsi,
s’opposent une formule dynamique (marge initiale mieux respectées mais avec des variations importantes) net
une formule plus statique (marge qui se dégrade dans le temps avec des variations de prix très faibles).
Malgré toute l’attention portée à la rédaction de la clause de révision, sa mise en œuvre dans le temps
comporte des risques de dérapages susceptibles de déstabiliser le marché. Personne n’est à l’abri d’une
catastrophe économique bouleversant ces indices. C’est pourquoi il est prudent pour l’acheteur de prévoir un
capage dont l’objectif est de protéger les parties en cas de variations trop importantes des indices. Bien
entendu, ce capage devra contractuellement être assorti d’un dispositif de révision des conditions du
marché.
Tester la formule de révision
Avant de soumissionner les entreprises qui veulent préserver leur marge doivent tester la formule de
révision incluse dans le marché sur les années écoulées et la compareront à l’évolution de leurs charges.
Si le passé ne détermine pas l’avenir, au moins c’est un moyen pour tester les 3 critères (dynamique,
réactivité et représentativité) sur une période suffisamment longue afin de se rassurer sur les performances
attendues.
En conclusion
A nos yeux une bonne formule de révision de prix doit être Représentative (refléter
fidèlement l’évolution réelle des charges composant le marché) Dynamique (intégrer les
hausses comme les baisses) et Réactive (écart temporel réduit entre la réalité des charges
et la publication de l’indice). Si ce n’est pas le cas alors les dirigeants avisés ajouteront des aléas dans
le calcul de leur prix lors de la remise de l’offre.
Pour apprécier la qualité d’une formule, les entreprises doivent maîtriser leur comptabilité analytique en
détail pour pouvoir tester la formule sur des temps suffisamment longs afin d’en analyser les effets
cumulés. Elles doivent aussi mobiliser leur service facturation afin de suivre au plus près l’application
des révisions de prix.
Si l’acheteur a autorisé les variantes, alors elles proposeront une formule alternative mieux construite
afin d’améliorer leur compétitivité par la réduction de prise d’aléas inutiles.
Nous considérons en effet ces formules comme des opportunités économiques pour les entreprises (et les
acheteurs publics) à condition qu’elles soient parfaitement maitrisées. A vos calculatrices et tableurs
Excel !
Quant à la périodicité des révisions, nous avons montré combien leur fréquence rapprochée était vertueuse
pour les 2 parties : avis manifestement partagé puisque l'Institut national de la statistique et des études
économiques (Insee) réduit les délais de publication de ses index BT-TP, pour le bâtiment et les travaux
publics. La publication en effet se fera 45 jours après la fin du mois considéré (M+45)", contre M+80
actuellement.(Annonce du 29 mars 2022). Reste à généraliser la pratique de révision mensuelle des prix, déjà
très ancrée dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Pour les contrats en cours, il est à craindre que devant la situation inédite que nous rencontrons les
dispositions juridiques actuelles ne suffisent pas à dénouer certaines situations complexes. Faudra-t-il,
pour cela une intervention des pouvoirs publics, comme le demande dans un communiqué de presse du 17 Mars
2022, la Fédération Nationale des Travaux publics ? Notons qu’elle réclame aussi une généralisation des
clauses de révisions à tous les marchés, qu’ils soient privés ou publics : les pratiques en vigueur
dans le secteur public montrent l’exemple au secteur privé !
Expert en marchés publics : 20 ans chez Veolia, plus de 5 000 appels d’offres pilotés, c’est aussi 45000 cafés avalés, 18 claviers d’ordinateurs, 137 crayons Bics, mais toujours la même énergie et la même envie de gagner tous les appels d’offres.
Grégory Pacaud a accumulé un savoir-faire et une technicité
précieuse dans les réponses aux appels d’offres. En 2017, après
avoir passé 20 ans chez Véolia Environnement, dont une dizaine
d’années à la tête du bureau d’études Bretagne est parti monter
sa première entreprise : FactStory dont l’activité était d’aider
les PME à se développer proprement et rapidement en gagnant beaucoup
de marchés publics.